Schmitronic

Réparations d'appareils électroniques vintage



Réparation d'un juke-box Seeburg L100 de 1957

Arrive une machine plus ancienne que d'habitude, un Seeburg L100 de 1957. Elle a une histoire intéressante : le propriétaire belge a travaillé aux USAs quelques temps et avant de rentrer il a acquis la machine et l'a fait livrer en Belgique. Mais comme cette machine est prévue pour fonctionner aux USAs, elle fonctionne en 115V ET en 60Hz, et pas 50Hz comme en Europe. Donc un transfo pour réduire la tension secteur ne suffira pas, le disque tournera trop lentement de 16% à cause de la différence de fréquence !

Vue du haut

Le propriétaire a cherché un bon moment avant de me trouver. La machine est en bon état, mais l'électronique est entièrement à tubes, encore un nouvelle architecture à apprendre ! Heureusement la documentation existe.

Le panneau arrière, avec les transfos à gauche et les diverses plaquettes de contrôle et de l'audio

Mécanique et sélection

Je commence par ressouder et isoler quelques fils du clavier, et fixe les panneaux, clavier et autres à la terre et remets les vis manquantes. Je fixe le transfo secteur et révise le câblage. Le phonographe est bien englué, il ne passe pas entre play et scan. Je dépose le châssis du phonographe, nettoie et lubrifie le phonographe jusqu'au déblocage. Je mesure la vitesse de rotation à 38 t/min au lieu de 45 t/min ! Pas intéressant ! Je commande de nouveaux engrenages, oui ça existe, mais c'est cher : 260 euros ! Je mets une journée à les remplacer, ce n'est pas une opération anodine, une certaine expérience en mécanique de précision est indispensable : il faut démonter la partie avant du phono, désolidariser 2 engrenages bloqués par des goupilles coniques, du grand art. Les nouveaux engrenages font tourner le disque à la bonne vitesse mais sont un peu bruyants, j'espère que le rodage réduira ce bruit. Mais sous son capot et sous le vitrage, ça devrait déjà être bon.

Gear set Seeburg 50 Hz - 45 rpm
Les engrenages de vitesse en cours de remplacement sur le phonographe

Lorsque le phonographe tourne en face A il y a un bruit de bobine important : la bobine de popularité est active en permanence. Le contact est difficile à régler, mais comme ce système de popularité est parfaitement inutile, je le désactive.

La bobine de cancel qui déclenche le Write-In ne s'active pas toujours après une sélection, donc rien à faire je suis bon pour décrasser les nombreux contacts du module accumulateur pour en fiabiliser le bon fonctionnement, ainsi que le contact spécial de Write-In proprement dit. Chose à faire sur toutes les machines !

Je teste la machine en free play en ajoutant simplement un fil à la masse sur la borne de sortie de l'accumulateur de crédits, sauf que comme d'habitude, la bobine clavier chauffe trop si elle est alimentée en permanence. Même avec les bonnes pièces (américaines), les contacts du monnayeur n'activent pas les petites bobines de l'accumulateur. J'ai déjà eu le coup sur le M100A, bizarre, car les contacts sont bons, mais le temps de fermeture semble trop court. Et pas possible d'ajouter un condensateur sur le contact car on est en AC. Si quelqu'un a la solution je suis preneur. Alors j'ajoute un petit bouton poussoir accessible à l'avant sous la décoration, branché en parallèle sur un des contacts du monnayeur, simple et efficace, on peut même choisir le nombre de crédit souhaités : 1, 2 ou 6.

Plus grave, après sélection au clavier, le phonographe balaie mais ne sélectionne pas que le disque demandé. Si je demande A1, il joue A1, C1, E1, ... tous les disques en 1 de la face A. Pareil si je fais F8, j'ai toutes les faces B en 8 : B8, D8, F8, ... Aïe, l'architecture de cette machine ne m'est pas familiaire, l'électronique est à tubes, montée sur plusieurs circuits imprimés enchâssés dans une porte à l'arrière de la machine, et pas dans des châssis comme j'ai l'habitude. Les tensions de l'alim de Write-In et de Read-Out sont parfaites, bien régulées par des tubes OA2 (régulateur de tension à cathode froide, ancêtre des Zener). Le test de la pile sur la mémoire Tormat m'indique que c'est la fonction de Write-In qui ne fonctionne pas, puisque la mémoire Tormat est bien lue si activée avec la pile. Les tores sont câblés en matrice, la moitié du courant de renversement magnétique est envoyé dans la ligne et l'autre moitié dans la colonne. Et donc le seul tore magnétisable est celui au croisement de la ligne et de la colonne car c'est le seul qui reçoit la pleine impulsion. Vu que tous les tores de la colonne du chiffre sont sélectionnés, mon hypothèse est que l'impulsion de colonne est trop puissante. Seuls les tores d'une face sont sélectionnés car en fait il y a 2 matrices, une par face. La puissance de l'impulsion dépend d'un condensateur critique qui se charge puis se décharge lors du Write-In. Il doit être de 68nF, or je mesure 84nF. Je le remplace par un 47nF/1200V, et bingo, il ne sélectionne plus que l'unique combinaison encodée au clavier.

Le condensateur de Write-In défectueux et le neuf monté sur la carte

Lors des tests, la seule anomalie encore découverte est que si on sélectionne K9, ma machine joue K0 et si on sélectionne K0, il ne joue ... rien ! Je nettoie encore plus attentivement ces plots Tormat, mais ce n'est pas ça. Je vérifie le positionnement de la barre Tormat par rapport au bloc de lecture, c'est limite, je la déplace légèrement et bingo, K0 est bien sélectionné ! J'ai l'impression que le phonographe s'inverse un peu top tôt, je tente le coup et déplace légèrement la butée pour que l'inverseur bascule lorsque le phonographe est tout juste au delà du panier à disque. Mais pas trop loin car sinon le phonographe risque de buter contre le châssis sans inverser et il va cogner sans fin, ce qui n'est pas bon du tout évidemment ! Et oui, avec ce léger déplacement de butée, c'est bon, il sélectionne K9 ! Il reste encore un détail à régler, il y a aussi une butée pour faire glisser le cache sur l'afficheur du Disk In Play, ce réglage est très délicat à faire pour que le cache se place bien. Cela m'a pris plus de temps que le reste !

La belle petite plaquette avec ses 2 petites loupes pour agrandir le numéro du disque sélectionné et son cache poussé par des butées (non visibles)

Audio

Le bras de lecture pivote difficilement, j'ai dû dévisser légèrement le pointeau qui tient l'axe de rotation, bizarre. Autre chose étonnante de ce modèle, un circuit imprimé est monté directement sur le phonographe : c'est un préampli à un transistor (PNP au Germanium). Curieux.

Etonnante plaquette avec un préampli à un transistor sur le phonographe

Au départ je n'ai pas de son, le contact de mute est déréglé sur le phono, souci vite résolu. Une aiguille est cassée. C'est une machine mono et je me rends compte que ces aiguilles sont très difficile à trouver, en fait les originales sont indisponibles, je trouve finalement une copie en Allemagne à ... 75 euros ! Ouh là, ça commence à chiffrer. L'autre option était de remplacer la tête avec les aiguilles par un modèle spécial plus moderne ... à 355 euros !

Aiguille Seeburg mono

Lorsqu'un disque joue en face A, au milieu du disque l'aiguille n'avance plus ! Je regarde et oups la brosse bloque l'aiguille de l'autre côté ! Sur ces modèles anciens les brosses sont fixes de chaque côté et les aiguilles s'y frottent lors de la lecture ! J'écarte la brosse en pliant la lame de soutien et c'est bon. Seeburg s'est rendu compte du problème car sur les machines ultérieures, ce sont les brosses qui sont mobiles et qui nettoient les aiguilles lors du retour de la tête en fin de lecture, solution plus complexe mais bien meilleure.

Les brosses fixes

Le son est correct mais faible et j'ai un affreux "poc" dans les haut-parleurs lors de l'inversion de marche du phonographe, mais cela n'arrive que d'un seul côté du chassis. En fait c'est le contact de soustraction (qui décompte les 2 allers-retours) qui provoque ce gros parasite dans l'ampli malgré le mute activé. Je vérifie la documentation et je suis surpris de découvrir une dizaine de "Service Bulletin", notes aux techniciens pour aller sur place corriger quelques soucis de design découverts au fil du temps. Quand il y en a beaucoup, cela signifie que ce modèle n'était pas au point, encore un peu prototype. La majorité des améliorations à réaliser concerne justement le filtrage et la limitation des bruits parasites. Tiens, tiens. Je vérifie sur ma machine mais toutes les modifications recommandées ont bien déjà été réalisées, zut.

Par expérience, tous les petits arcs électriques causés par des contacts de commande de relais alimentés en tension continue peuvent être étouffés par un petit condensateur (mais qui supporte les hautes tensions) monté en parallèle sur le contact. Je soude un 15nF/400V au plus près du contact qui se trouve sous les palpeurs Tormat et bingo : le silence ! Je dois avouer que j'en ai été le 1er surpris, car cette solution est simple, efficace et peu coûteuse. Beaucoup de machines ont dû avoir le même souci (qui est très désagréable) et pourtant je n'ai vu aucun Service Bulletin sur ce sujet. J'ai même été revoir le schéma complet pour vérifier si un condensateur n'était pas prévu au départ et qu'il aurait disparu sur mon exemplaire, mais non, il n'y a rien. Intéressant comme problème.

Le condensateur rajouté sur le contact de soustraction. Il élimine le gros "poc" dans l'ampli

Le son est donc trop faible et j'ai aussi des craquements. J'étudie l'ensemble de la chaine d'amplification : la petite carte préampli sur le phono est bien alimentée en -22VDC et je mesure 800 mVpp en jouant un disque, cela me semble normal. Il y a 3 cartes audio sur le panneau arrière : un contrôleur AVC (Automatic Volume Control), un contrôleur de tonalité et de volume, l'ampli et pour finir 3 haut-parleurs en mono (2 woofers et 1 medium !). L'interconnexion entre les cartes est très intéressant : chaque carte comporte un court câble avec une fiche qui se branche sur la carte suivante. Mais on peut bypasser n'importe quelle carte ! Par exemple, on peut connecter la sortie du préampli directement sur l'ampli, sans passer par le module AVC et de tonalité ! Bien sûr on perd les fonctions des cartes bypassées, mais ainsi on peut tester facilement où se trouvent les soucis. Je constate d'ailleurs que le module AVC n'était pas en fonction. Je l'insère pour voir (plutôt en tendre) et le son devient encore plus faible ! Le branchement direct entre préampli et ampli me donne bien un bon gros son, mais toujours pas la puissance maximum de 35W attendue.

Démontage des plaques AVC, tonalité et ampli pour révision

Je commence par le plus facile :

Contacteur de tonalité avant et après décrassage !

Espérant obtenir un gain avec la carte AVC, je remplace le socket d'un tube qui était complètement oxydé, j'ai dû bricoler un peu.

Remplacement d'un support de tube oxydé par un autre avec des écarts de broches différents !

La pentode 6BJ6 a un gain assez faible et j'ai un doute sur la diode (qui est souvent le souci d'après le spécialiste Thierry04 dans ce post), mais je me suis rendu compte sur le schéma que cette carte n'assure aucune amplification mais au contraire limite plutôt le volume, donc je laisse tomber le dépannage de cette carte, car elle ne sert pas à grand chose et ne va pas résoudre mon souci de gain actuel.

Mon petit-fils de 5 ans aime bien me donner un coup de main en branchant les fils pour faire la mesure !

Comme le souci ne peut pas non plus provenir des aiguilles, car la neuve donne le même niveau que la vieille, il ne reste plus qu'à jouer sur le préampli. A l'établi, alimentée, quand j'injecte 40mVpp en entrée j'obtiens 2,6Vpp en sortie, que j'injecte un sinus à 100, 1k ou 6kHz, ce qui nous fait un gain de 65 à toutes les fréquences, pas mal pour un seul transistor. Je sais que le gain d'un ampli en émetteur commun en classe A est déterminé par le rapport entre l'impédance de sortie (~Rc, résistance au collecteur) et l'impédance (donc AC) à l'émetteur. Donc ici le gain est proportionnel à R108 / R104 = 15k / 100 = 150 ... et pas 65 ! Oui, mais l'impédance collecteur n'est pas déterminée que par R108, mais par les composants qui suivent à l'étage suivant et ceux qui "reviennent" en amont. Donc, pour moi c'est bon.

circuit
Schéma préampli réel et schéma du simulateur (voir texte)

Je ne pense pas que ce soit une bonne idée de jouer sur la résistance du collecteur, car cela modifie trop le courant collecteur, je préfère jouer sur la résistance AC d'émetteur. Il est évident qu'il faut la diminuer pour augmenter le gain. Pour le sport, j'utilise même un sympathique simulateur, Transistor Amp, pour tester quelques valeurs. Le circuit d'émetteur proposé n'est pas tout à fait identique mais c'est jouable. D'ailleurs avec les valeurs réelles, le simulateur me donne en R5 220 ohms au lieu de 100 ohms pour obtenir un gain de 65. C'est bon, on est dans le bon ordre de grandeur. Pour obtenir un gain de 130, il me propose un R5 de 82 ohms. Finalement, je remplace la résistance d'émetteur de 100 ohms par une de 10 ohms et hop, j'ai enfin du volume ! Je ne sais pas combien de gain j'ai réellement, mais c'est bon.

Lors de mes recherches j'ai constaté que pas mal de propriétaires de L100 se plaignent du faible volume et tout le monde en cherche la cause. J'ai l'impression que Seeburg a réalisé un système complexe mais n'a pas réalisé le plein potentiel des bons tubes de puissance de l'ampli, il faut dire aussi que c'est une "petite" machine (50 disques) plutôt prévue pour un usage à domicile que dans un grand café.

Voilà une machine qui a beaucoup voyagé et qui revient également de loin au niveau technique. Mais elle est chouette, elle a le vrai look "Fifties" !

Look Fifties assuré !
Lors de la restauration de cette machine je suis tombé sur ce post où quelqu'un avait le même souci de volume faible et il demandait quel est le gain du préampli. Il n'a eu aucune réponse précise, mais à tout hasard, j'ai donné mes conclusions :

"Je ne sais pas si quelqu'un suit encore ce post, mais voici l'info demandée au départ : sur le préampli du phono d'un L100 si j'injecte un sinus de 40mVpp en entrée, je mesure 2,6Vpp en sortie, soit un gain de 65 en tension, et cela sur toute la gamme de fréquence (mesuré à 100, 1k et 6kHz). Donc bien plus élevé que le gain de 20 provenant de la mesure de 2mVin et 40mVout de l'auteur du post. Malgré cela le volume sonore reste faible, à fond j'ai à peine le volume normal d'écoute dans une petite pièce. L'AVC est bypassé (en panne). En jouant un disque je mesure en moyenne 800mVpp à la sortie du préampli (=entrée tone ctrl) et pareil à la sortie du tone ctrl (= entrée ampli) avec volume, basses et aigües à fond. Donc je déduis que la tête de lecture me donne 12mVpp (= 4,3mVrms), ce qui semble très correct pour une tête magnétique. Le manuel mentionne qu'en test (?) avec 0,5Vrms en entrée tone ctrl, il faut mesurer 0,85Vrms en sortie, donc il devrait y avoir un petit gain, que je n'ai pas. Si ces valeurs de test sont à obtenir avec des disques, ma machine est bien en dessous car 800mVpp font 286mVrms au lieu des 850mVrms à injecter dans l'ampli.

Il y a une erreur dans le schéma : la sortie AVC indique 0,25Vrms et l'entrée tone ctrl indique 0,5Vrms ... alors que c'est la même borne !!!

Je ne vois pas où se trouve le filtre correcteur RIAA, il n'est pas dans le préampli ni dans l'AVC ni dans l'ampli, il ne reste donc que le tone ctrl, sans doute bien caché dans le spaghetti des sélecteurs !

Dernière chose, le remplacement du transistor 2N109 (PNP germanium) par un 2N3906 (PNP silicium) ne me semble pas correct sur le principe, car la polarisation est à 0,2V pour le Ge et à 0,6V pour le Si, les résistances de polarisation DC doivent être recalculées pour remettre le point de repos au milieu de la plage de l'alimentation. Sinon risques de distorsion et de courant de collecteur trop élevé (ou pas assez)."