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Réparations d'appareils électroniques vintage



Réparation d'un horloge électrique Bulle-Clock de 1927

Drôle de nom pour une horloge

Plusieurs horloges murales de 40 cm de diamètre trainaient depuis des décennies dans le grenier des parents de mon épouse, elles provenaient d'une gare de chemin de fer. Les deux premières ont des mécaniques classiques (Tordoir - Bruxelles) et comme elles ont été construites pour durer, il suffit d'un petit dépoussiérage, de quelques gouttes d'huile et d'un soigneux ajustement au mur jusqu'à entendre le battement régulier de la roue d'échappement du balancier ... et elles repartent, comme neuves ou presque. Un remontage du ressort une fois par semaine et elles mesureront le temps pour l'éternité.

La troisième horloge trouvée porte un drôle de nom "Bulle Clock", mélange bizarre de français et d'anglais ... Après démontage des aiguilles et enlèvement du cadran, une mécanique très inhabituelle s'offre à mes yeux : rien à l'intérieur ne ressemble à quelque chose de connu ! Une petite mécanique, une bobine qui pend au bout d'un balancier à deux tiges, et qui peut osciller le long d'un barreau noir incurvé, deux fils qui partent dans une boîte à l'arrière vers une pile ... une vieille horloge électrique !

bulle clock horloge murale bulle clock intérieur

Pour sûr que les mécaniciens horlogers devaient être un peu perdus avec ce type d'horloge ... mais les électriciens aussi ! Elle a l'air complète et sans casse, mais une nouvelle pile ne lui redonne pas vie ... elle commence à m'intéresser. Comme d'habitude, internet va me donner réponse à toutes les questions. Le texte ci-dessous décrit quelques points qui me semblent originaux, il essaie dans la mesure du possible de ne pas répéter l'information déjà disponible sur internet. Divers liens vers cette information se trouvent dans le texte quand nécessaire.

Le constructeur

L'inventeur de la Bulle Clock est M. Maurice Favre-Bulle de Besançon, un court article résume sa vie ... très active !

Les brevets

M. Favre Bulle a déposé plusieurs brevets aux Etats-Unis dans les années 1920 dont celui-ci qui décrit complètement cette fameuse horloge.

Sur le cadran on lit "Bté S.G.D.G Patent", un ami français m'apprend que cela signifie "Breveté mais sans garantie du gouvernement", l'Etat français se bornant à l'enregistrement de l'invention mais sans en garantir son bon fonctionnement.

Les explications de fonctionnement

 M. Bulle n'était pas le premier ni le dernier à avoir déposé des brevets pour des horloges électriques, mais il semble être le seul à avoir préféré faire bouger la bobine, beaucoup d'autres ont fixé l'aimant au bout du balancier. C'est vrai que cela ajoute la difficulté d'établier le contact électrique et au bon moment.

Un article intéressant de la NAWCC (National Association of Watch & Clock Collectors) qui est un des rares à expliquer le chemin électrique non trivial de l'horloge. A lire avant de continuer les explications de la photo ci-dessous.

bulle clock intérieur avec explications

La liaison négative part du "-" de la pile et se branche sur une bague (de soutien de l'aimant) fixée au châssis arrière. Le pendule est pendu au haut du châssis mais une liaison souple en tissu empêche le passage du courant, mais un fin fil d'argent assure la liaison électrique à cette "charnière d'oscillation du pendule en "2". Ensuite, le courant suit la tige du balancier "3" jusqu'à la bobine. Le côté négatif est donc connecté en permanence à la bobine. A noter la bague isolante rouge en "3a" pour éviter tout contact électrique avec "4" et "5".

La liaison positive part du "+" de la pile et arrive sur le bloc mécanique d'horloge "11" (fil rouge en bas à droite). Le N° de série est gravé à l'emplacement de la flèche "11". A noter également les rondelles isolantes en "1" entre le châssis arrière et le bloc horloge. Le ressort noir "10" est fixé au bloc horloge et est accroché par un œillet à l'arrière de l'axe d'oscillation "7" pour garantir la continuité électrique. Cet axe est solidaire de la fourchette "6", surmontée de 2 rivets : un rivet isolant "8" et un en argent "9". La bobine est alimentée lorsque la pointe "5", entrainée par le balancement via "4" et "3", ira frotter le rivet "9". A ce moment, le courant passera de "9" à "5" et suivra la 2ème tige métallique "4" qui descend, soutient mécaniquement et se connecte électriquement à la bobine. La bobine reçoit un courte impulsion électrique qui provoque un champ magnétique répulsif au champ permanent de l'aimant, et pousse le balancier suffisamment pour entretenir le mouvement. Le principe est exactement le même que quand un parent donne une légère poussée dans le dos à son enfant assis sur une balançoire ! L'énergie pour entretenir le mouvement est minime MAIS doit être donnée au bon moment.

Que de complexité et d'astuce !

Le catalogue d'époque & les exemples de restauration

La page Bulle-Clock du super site Horologix, spécialiste des catalogues d'époque et pièces détachées, me permet de trouver mon modèle d'horloge à la page 4 du catalogue de 1925, c'est le modèle C9, chêne naturel diamètre total de 40 cm. Elle est vendue à 295 francs français comme indiqué dans la liste des prix de 1929 "C9 Oeil-de-boeuf" !

La datation

La datation a été plus difficile à établir, seul le spécialiste anglais John Hubby a tenté un historique de production des Bulle Clocks. Dans le tableau ci-dessous qui reprend ses chiffres, on voit une production qui démarre en 1920, s'emballe en 1926 à un taux de ~20.000 exemplaires par an jusqu'en 1940 (14 ans !), s'arrête net à cause de la guerre, reprend en 1946 mais la production tombe à ~5.000 exemplaires par an, les technologies ont changé, c'est fini.

production cumulée annuelle bulle clock emplacement numéro série bulle clock

Les numéros de série sont toujours lisibles sans ouvrir. Sur mon modèle il est gravé sur la mécanique derrière l'axe des aiguilles en haut à gauche : 53165. D'après le tableau, ce N° se trouve entre les ~47.000 de 1926 et les ~86.000 de 1928, elle date donc de 1927, année de la première traversée de l'océan Atlantique en avion par Charles Lindbergh ! Elle a donc 85 ans en 2012 ! Si elle a "tourné" pendant 30 ans et s'est reposée pendant 55 ans, son état actuel est toujours très bon !

La valeur

Même en panne, elles se vendent parfois sur eBay à des dizaines d'euros ! J'ai essayé de miser sur certaines, ça monte facilement jusqu'à 250 euros. Donc, comme elle sont souvent en panne surtout parce peu de gens savent comment les faire fonctionner, si vous en voyez une sur une brocante, n'hésitez pas à l'acheter, à condition qu'elle soit complète et que le barreau magnétique soit intact. Et si vous avez besoin d'un dépanneur, contactez-moi !

Remise en route

Fort de toutes les informations collectées, je commence par nettoyer et à huiler le système en gros et prudemment, les pièces et ressorts sont vraiment petits ... A l'ohmmètre je suis pas à pas le chemin électrique complet et découvre que quelqu'un a déplacé le cylindre isolant rouge "3a" et resserré le tout à même le métal ! Court circuit franc, donc ! Après remise en place de cette petite bague d'isolation, le circuit est correct ... mais le balancier hésite et s'arrête. Pour avoir le cœur net, j'ajoute une LED en parallèle sur la bobine mais je dois suralimenter en 3V pour qu'elle s'allume ! Et là je vois l'allumage de la LED à presque chaque oscillation mais il n'est pas net et franc, le contact est faible et fébrile. Avec un coton-tige et un liquide de nettoyage de contact je frotte délicatement l'axe "5" et le rivet en argent "9". Le coton-tige est noir d'oxydation. La qualité du contact s'améliore, le métal brille de plus en plus, mais il me faudra plusieurs cotons-tiges pour obtenir un contact franc et systématique. Ce point est donc crucial, car la moindre crasse dérange le bon fonctionnement. Dès ce moment, l'horloge démarre même toute seule et ne s'arrête plus ! Quelques jours de réglages de la roulette du balancier suffisent pour la rendre parfaitement précise sur de nombreuses semaines, quelle belle stabilité à 85 ans ! Par rapport au remontage manuel d'un ressort et à la précision inférieure des horloges mécaniques, il n'y a pas photo ! Je comprends qu'il y en ait eu des centaines de milliers de vendues !

Dépannage après quelques années

Après 2-3 ans de bons et loyaux services dans le salon, l'horloge s'arrête de temps en temps, un nettoyage du contact d'argent n'y fait rien et ce n'est pas la pile qui est à plat. Que se passe-t-il ?

Ma première réaction est que peut-être le barreau a perdu de son aimantation permanente et que le mouvement n'est plus entretenu suffisamment fort par le champ magnétique. Je trouve des discussions, explications et propositions de ré-aimantation sur eBay. Pour en avoir le cœur net, il faut mesurer le champ magnétique. Loin de tout, le capteur magnétique de mon Smartphone indique ~60 µTesla (= champ magnétique terrestre) mais à 6 cm du barreau il monte rapidement à 150 µT, et si j'approche encore plus près le Smartphone émet une alarme de saturation et d'endommagement possible de l'appareil ! J'en conclu donc que le barreau est toujours suffisamment puissant malgré son âge !

mesure champ magnétique barreau aimant bulle clock

Je constate que, malgré mon nettoyage du système de contact de balancier, la bobine n'est pas alimentée de manière nette. En relisant la documentation accumulée, je redécouvre qu'il y a un ressort de contact "R" et son œillet "b" (à ne pas confondre avec le ressort d'isochronisme) qui garantit le bon contact électrique du corps de l'horloge "P", via la lame de support "p", à l'axe "T" de la fourchette oscillante "F". Ce ressort en argent est noir d'oxydation ... et est tombé ! L'œillet s'est cassé d'usure au point de contact dans la gorge de l'axe "T", et le ressort pend à son point d'attache sur "p" !

schéma explicatif bulle clock

Comme tout est métallique ("P", "T" et "F"), on pourrait croire que l'axe métallique de rotation de la fourchette fasse un bon contact avec le châssis mais le mouvement et le film d'huile entre l'axe et le palier ne le garantissent pas, d'où l'instabilité de l'horloge.

Le ressort est manifestement au bout du rouleau, le fil en est incroyablement fin, je mesure un dixième de millimètre (100µm), l'épaisseur d'un cheveu ! Ce ressort était en vente sur Horologix pour 5£, 0,15 mm de diamètre ... mais ne semble plus disponible.

Mon épouse crée ses propres bijoux et me signale qu'elle a un rouleau de fin fil d'argent ! En fait, ce fil fait un diamètre d'un quart de millimètre, 0,25 mm, soit plus de 2 fois plus que l'original. Je me décide néanmoins à fabriquer ce ressort moi-même !

Ci-dessous, sur la photo de gauche, on voit la bobine de fil d'argent, l'ancien ressort et le nouveau en cours de "bobinage" sur un fil électrique de cuivre de 1,5mm2. A droite, le ressort terminé, il fait 2 cm de long avec un beau gros œillet. On voit que l'œillet de l'ancien ressort est bien cassé en regardant son ombre ! Un dégraissage méticuleux est réalisé dans la gorge (comme celle d'une poulie) de l'axe "T", puis c'est à la loupe et à la pince à épiler que le ressort est remis en place. Franchement, c'est quasi de la chirurgie, je dois m'y reprendre à plusieurs fois, et je pince bien le fil du ressort du côté "p". Dès la mise en place de la pile, la bobine part toute seule et le balancier amplifie son mouvement à chaque oscillation, c'est reparti ! Quel astucieux mécanisme.

Après quelques heures, quel plaisir de constater que le balancier oscille vaillamment sur toute la course de l'aimant. Plusieurs jours plus tard, je constate à nouveau la parfaite précision de l'horloge. Conclusion : ce ressort est indispensable et doit être en argent, mais l'épaisseur n'est pas critique !

fabrication ressort argent contact bulle clock fabrication ressort argent contact bulle clock mise en place ressort argent contact bulle clock

Tant que j'y suis, j'en profite pour nettoyer la connexion électrique sur le collier de serrage de l'aimant (en bas à gauche sur la photo), le collier a été mangé par l'acide d'anciennes piles au point que le collier est cassé, mais ça tient. La pile et son support sont montés de manière sûres à l'avant, ce qui évitera à l'avenir de devoir décrocher l'horloge pour remplacer la pile.

Je n'utilise que des piles usagées, qui ne donnent plus que ~1V, c'est donc un chouette recyclage, je les use ainsi jusqu'au bout. Elles sont insuffisantes pour un usage normal (lampe de poche, appareil photo, ...) mais elles font encore avancer l'horloge pendant minimum 6 mois ! La consommation est vraiment insignifiante, pour un appareil de cette technologie et de cette époque, c'est extraordinaire. Quand je n'aurai plus de vieilles piles, je vais installer un petit panneau photovoltaïque sur le sommet de la caisse pour recharger une vieille batterie AA ! Même en Belgique avec le peu de soleil que nous avons, il fera bien marcher l'horloge gratuitement pour toujours !

nouveau support pile bulle clock

La voici en mouvement !

Et pour terminer, voici une petite vidéo de 30 secondes qui montre le mouvement de la bobine, le nouveau montage de pile et le ressort en argent, bien sûr !

Et voilà encore un bel objet revenu à la vie et dont l'obsolescence n'est pas du tout programmée !

Petit complément d'information. Plus de 2 ans plus tard, l'horloge fonctionne de plus en plus de manière chaotique, elle avance, puis retarde et s'arrête. Quelques nettoyages au coton tige imbibé d'alcool isopropylique de la fourchette au point "9" et du pignon "5" qui s'y frotte la relanceront pour quelques semaines. Mais comme la période de bon fonctionnement diminue, un démontage s'impose. Le ressort est toujours bien en place, je nettoie plus sérieusement, le grain d'argent "9" est très noire, seul un nettoyant pour contact électrique l'attaquera suffisamment pour la faire briller. Mais l'horloge peine à prendre un rythme franc et régulier. En regardant le grain attentivement à la loupe éclairée, je découvre une usure non négligeable. Comme le pignon "9" est tenu en hauteur par une vis sur une des 2 tiges verticales, il est très facile de dévisser et régler le pignon à la hauteur voulue, je le descends légèrement dans la fente de la fourchette, le contact sera plus fort et plus long. Instantanément, l'horloge part et accentue l'oscillation, problème réglé ! Il est quand même étonnant de voir que le réglage délicat du contact se fasse avec une vis aussi grossièrement positionnée sur la tige oscillante. Si l'on n'est pas attentif on peut même par mégarde positionner le pignon en biais (non perpendiculaire à la fourchette), ce qui ne doit pas être idéal !