Schmitronic
Réparations d'appareils électroniques vintage
Restauration d'un flipper Gottlieb Gaucho de 1963
Un Gaucho, un vieux électromécanique de Gottlieb. Avec pas mal de bricolages, fils coupés, porte de caisse disparue, ... Mais ce qui m'intéresse est un mécanisme que je ne connais pas encore : le roto-target ! C'est une unité qui supporte une couronne de cibles tournantes qui passent devant 2 contacts, je trouve ce mécanisme très intelligent et amusant.
Je commence par faire le ménage "à vue" : câblage 230V, redresser toutes les cosses de relais et du score motor pliées (il y en a énormément, bizarre), débloquer/dégraisser toutes les unités rotatives, remettre les vis et rondelles manquantes, décrasser les broches, mesurer toutes les bobines, repérer les fils coupés et les ressouder, vérifier et remettre les fusibles ... Par expérience, les contacts de compteurs ne sont plus fiables et empêchent le processus de reset de la machine de se terminer, donc je les nettoie d'avance. C'est un gros travail, car ces gros compteurs doivent être démontés pour pouvoir accéder aux contacts internes. Heureusement il n'y en a que 12 ... Tant que j'y suis, je ponte le contact de fin de crédit pour mettre la machine en free play.
En faisant tourner le score motor à la main, je me rends compte que l'axe ... est plié ! Quelque chose de lourd est tombé dessus. Pour mieux y avoir accès je dois le dévisser de la planche du fond et, incroyable mais vrai, je dois dévisser toute la planche du fond et la retourner pour accéder aux vis qui maintiennent le score motor ! Pfff .... Gottlieb n'a vraiment rien fait pour faciliter la vie des techniciens. Je n'ai pas le choix, ça passe ou ça casse. Finalement avec un gros tournevis sous les roues j'arrive à forcer et à redresser l'axe, ouf !
La porte était manquante, une autre porte a été trouvée, c'est la bonne version car les couleurs de fils sont bien les bonnes. Je dois juste la mettre à la terre et du coup aussi remplacer le câble secteur à 2 fils, typique des vieux Gottlieb. Avant de commencer le dépannage, il me faut re-identifier les relais et autres bobines car beaucoup d'étiquettes ont disparu. Le plus efficace est de prendre la liste des bobines du plan et de procéder par élimination. La liste et le plan permettent de connaître les couleurs de fils et les nombre et type de contacts sur chaque relais, ce qui suffit pour l'identifier à coup sûr. Je vérifie également que les modèles de bobines sont bien celles prévues sur le plan, mais non certaines ne sont pas conformes, je parie que cela ne fonctionnera pas, ce n'est pas pour rien qu'il y a autant de modèles différents.
Cette machine a une très longue/grosse bank de reset (relais qui ne déclenchent qu'une seule fois par partie). Pour faire le reset de cette bank en début de partie, Gottlieb a dû prévoir 2 grosses bobines 115V, activées simultanément et connectées en parallèle, chacune avec leur fusible. Whouah, c'est de la grosse artillerie. Bizarrement quelqu'un a modifié le câblage pour connecter ces 2 bobines en série ! Pourquoi ? Je n'aime pas ces modifications et je remets tout en conformité. Je teste et je comprends : le déclenchement de ces 2 bobines provoque un vrai coup de canon ! Bang ! J'ai sursauté ! Voilà pourquoi quelqu'un a essayé de calmer le jeu : la mise en série fait sûrement moins de bruit et fonctionne peut-être mais je préfère laisser comme ça.
Les premières tentatives de lancement d'allumage de la machine ne donnent rien du tout : les 2 relais de hold n'enclenchent même pas. Pas étonnant, ces bobines sont sous tension en permanence et, même si étudiées pour, elles finissent par griller avec les années. Elles ont été remplacées par d'autres types ce qui immanquablement soit ne fonctionne pas, soit fait trop de bruit. N'ayant pas le bon modèle A3498 pour la bobine relais H (30V Hold) je tente de remplacer la A1084 installée par une bobine Williams de configuration proche de la A3498 (même nombre de spires et même épaisseur de fil), cela fonctionne mais fait trop de bruit. Je commande la bobine conforme et l'installe, il faudra encore un peu chipoter pour avoir un fonctionnement sûr et silencieux, par exemple mettre une rondelle en laiton plus épaisse ! C'est toujours délicat ces relais Hold.
Les 2 contacts principaux dans la procédure de reset sont HS : le SB-Armature (contact monté de manière étrange sur un relais du bank reset) et du score motor 4C. Le bouton de replay est inactif, je suis la ligne et j'arrive sur le relais W. Pour trouver le contact je m'aide de la configuration donnée par le plan : 4A, 1C = 4 contacts normalement ouverts et un contact normalement fermé. Or que vois-je ? 5 contacts normalement ouverts ! Hein ? En regardant de plus près je découvre 2 anomalies : une lame est anormalement pliée et un des 2 vis n'est pas serrée. J'en déduis que quelqu'un a démonté la pile et l'a mal remontée ! Le contact qui m'intéresse a été remonté à l'envers ! M'enfin, un rigolo a encore sévi ! Remis correctement, la machine démarre évidemment !
Après le reset, le relais PB2 Bank et la bobine de soustraction de l'unité joueur/bille s'activent de manière intempestive à chaque fois que le score motor s'active. Je n'ai pas été assez attentif après le redressement de l'axe du score motor et la pile de contacts 2C n'est pas correctement alignée, ce qui provoque ces problèmes. A la longue le reset des compteurs ne se fait pas correctement, il me faudra décrasser sérieusement les relais de reset D1 et D2.
Je constate que le jeu n'avance pas à chaque perte de bille : le add coil unit player/ball ne s'active pas. En sortant, la bille roule sur un contact qui devrait activer le relais B, or il ne bouge pas. C'est encore une fois un contact normalement fermé mais qui ne l'est pas sur la pile 1B du score motor. Le relais B s'active mais ne reste pas collé : son contact de hold est mauvais ! Après décrassage cela fonctionne mais il y a beaucoup d'étincelles, la pression du relais n'est pas suffisante. Ce n'est pas étonnant, car lors de l'inventaire j'avais déjà repéré que la bobine de ce relais n'est pas conforme, c'est une A20-5 au lieu d'une A20-4 ... Après récupération de la bonne bobine sur un vieux plateau déclassé et remplacement, le relais B enclenche bien. C'est donc bon mais ça coince à l'étape suivante : le score motor ne part pas ! Je vois bien le contact d'activation sur le relais B, il est bon, mais il n'a qu'un fil, où est l'autre ? Je finis par le trouver : coupé et coincé entre le châssis du relais et la planche ! Cette fois j'ai compris : je parie que quelqu'un a beaucoup chipoté sans trop comprendre, et une fois découragé, a voulu revendre la machine et a vite remonté tout à la 6-4-2 ! Mais on ne me la fait pas car, grâce au schéma, j'ai toutes les infos pour tout remettre en ordre et en conformité. Cela prend juste du temps, mais je dois même reconnaitre que c'est amusant. Et cette fois c'est enfin bon : la bille sort et la machine passe à la bille suivante ou au joueur suivant. Ouf !
Les compteurs ne comptent pas tous et ne font pas toujours les reports, je suis obligé de décrasser tous les contacts des relais "joueur actif" : 1er = AA, 2ème = BX, 3ème = CC et 4ème = DD. Ah Gottlieb et leur numérotation : déjà AA, CC, DD démontre un manque d'imagination crasse, mais en plus pourquoi n'ont-ils n'ont pas nommé logiquement le relais du 2ème joueur BB mais BX ? Un fil volant se balade dans le fronton, il provient du relais des 100 points et fait avancer l'unité 00-90 (tombola) alors que le schéma indique l'activation par le relais de 1 point. Cela diminue l'activité de l'unité et c'est très bien comme ça. Je remets juste ce câblage au propre. Cette machine possède 2 cloches (10 et 100 points) et le knocker habituel. Il me suffit de démonter, décrasser et remettre des rondelles de caoutchoucs et c'est reparti, ça donne de la vie à la machine quand même !
Je découvre un fonctionnement du tilt très sophistiqué : il y a un tilt par joueur ! Dès qu'un joueur fait tilt, sa lampe de joueur s'éteint et une lampe tilt s'allume à côté de son compteur. Et c'est fini, ce joueur ne peut plus jouer du tout ! La machine "passe" ce joueur à chaque bille, dur dur, cela ne devait pas être très populaire et finalement nuire à la marque ! Les systèmes de tilt ultérieurs ne feront perdre que la bille en jeu, jamais toute la partie ! Et quelle complication technique pour réaliser cette fonction complexe !
Il me reste à mettre en route le fameux roto-target et les 2 unités multiplicatrices liées aux 2 cibles du roto-target : démonter, nettoyer, régler ressorts et butées, serrer grains des contacts, ... Et encore une fois je trouve un fil qui n'est pas connecté correctement au châssis et empêche les points de marquer !
De plus la configuration du disque tournant est à moitié absente et cette information n'est pas disponible dans la documentation ! Heureusement une photo du même disque existe sur un forum et me servira à refaire les 2 liaisons manquantes.
Ce mécanisme est vraiment amusant : les faux bumpers activent le mécanisme, la roue tourne et revient légèrement en arrière ! Si on est passé par le bon couloir plateau auparavant une unité multiplie par 1, 10 ou 100 fois la valeur affichée de la cible du roto-target touchée (de 1 à 5 points) ! Et cela fonctionne indépendamment sur les cibles gauche ou droite. Wouah, ça peut rapporter gros ! Mais attention une fois la cible touchée, l'unité retombe toujours à 1x ! Il faut donc repasser par les bons couloirs pour faire remonter la multiplication. Une cible spéciale du roto-target est une étoile rouge et si on la touche on gagne l'extra-ball. Par contre, une fois l'extra-ball gagnée aucune lampe ne l'indique, mais cela fonctionne.
Et voilà une machine ancienne et étonnement sophistiquée, très amusante à jouer. Espérons qu'elle reste fiable. Ci-dessous une digression sur ce type de machine des années 1960 avec roto-target.
La 1ère fois que j'ai vu très brièvement un roto-target, c'est dans la fameuse vidéo, extraite du film "Tommy" réalisé en 1975 par le groupe de rock "The Who", de la chanson bien connue "Pinball Wizard". A réécouter avec le son à fond, quelle énergie ! Le Gaucho serait-il le modèle utilisé dans ce film ?
Et non. D'abord il y a 2 flippers dans la séquence et ils apparaissent à tour de rôle. Elton John joue sur un flipper Gottlieb Buckaroo de 1965 et Roger Daltrey sur un Gottlieb Kings & Queens également de 1965, donc les machines existaient déjà depuis 10 ans au moment du tournage. Étonnant qu'ils n'aient pas choisi de machines de leur époque, plus sophistiquées, surtout que c'est le thème principal du film.
Le roto-target apparait très brièvement à 3'49" et il me permet de confirmer que c'est bien celui d'un Buckaroo en comparant avec une photo du plateau trouvée du ipdb, le dessin de la cible est le même et surtout on peut lire "SPIN ROTO" couché devant. Par contre en comparant les photos et mon Gaucho, je peux affirmer que la machine utilisée dans le film était en mauvais état ! En effet les caoutchoucs des plots sont très sales, le dessin de la cible est effacé aux endroits en contact avec la bille, il manque 2 ampoules à l'horizontale au dessus de la cible ainsi que le cache métallique de protection ! Ils auraient quand même pu mettre la machine en ordre.
En voyant mon Gaucho qui est de la même génération que les 2 machines du film je me rends compte qu'il y a quelque chose qui ne va pas dans la vidéo. On voit très souvent les compteurs qui tournent pendant tout le clip. On peut se rendre compte que les chiffres redescendent parfois ! Après une image à 9.900 points on voit des images à 9.400 points, ce n'est pas possible dans la même partie. Ou alors les compteurs des 2 machines tournent en parallèle et sont mélangés, je n'ai pas vérifié. Mais il y a plus grave.
Vous avez trouvé ? C'est évident, comme sur le Gaucho, les machines Gottlieb de cette époque n'avaient que 3 rouleaux compteurs, ce qui ne permet de compter que jusque 999. Pour aller au-delà il y a une case blanche devant la virgule pour indiquer les 1.000 points ! Quand ce nombre est atteint, une lampe s'allume dans la case ! Je suis d'accord ce n'est pas très lisible et ça fait un peu "bon marché".
Or que voit-on dans la vidéo ? Un vrai rouleau des milliers de points existe, les chiffres sont bien lisibles et montent, et créent toute l'excitation du clip ! Alors qu'en réalité ces digits n'existent pas. Donc ils ont été rajoutés, dessinés dans la vidéo par après ! Et cela se voit : il n'y a pas de relief ni d'ombre et d'ailleurs le 8 des milliers n'a même pas la même police de caractère que le vrai des dizaines ! Il aurait quand même été plus simple de choisir des machines avec des compteurs complets qui existaient bien à l'époque du tournage.
Conclusion, le deep fake vidéo n'est pas une technique récente, ils le faisaient déjà en 1975 ! Fou Non ?