Schmitronic

Réparations d'appareils électroniques vintage



Restauration d'une machine à sous Saturnia (Mills)

Réparation et restauration

Arrive une vieille machine à sous (1960 ?) italienne en piteux état. Et elle est très lourde et impossible à soulever seul ! Je commence par chercher le manuel et les plans, la société provient de Florence et le modèle est Saturnia ... mais est quasi inconnu au bataillon ! En tous cas, il n'existe aucune documentation. Mais en comparant l'intérieur de la machine avec les vidéos de dépannage de machines à sous sur YouTube je me rends compte que la mécanique est bien classique : c'est une Mills américaine ! Ouf, toutes les explications, manuels et plans existent. Ces vidéos sont à voir car je ne vais pas pouvoir expliquer tout le fonctionnement de ce genre de machines ici. La machine a l'air complète, formidable.

La machine arrive dans son jus ... quelle belle mécanique intérieure !

Via toute une tringlerie, le bras de lancement actionne une pièce spéciale en cuivre qui devrait : tendre le mécanisme, remonter le timer, lâcher tout d'un coup, laisser tourner le timer et le reste de la machine et laisser faire le hasard. Or la pièce en cuivre n'active rien, elle bouge dans le vide ! En l'observant je constate qu'elle peut faire une translation et une rotation, or il n'y a qu'un ressort et en plus il est "croqué" (certaines spires ont été forcées et sont trop étirées). De plus au-dessus à proximité, je vois un "clou" d'attache de ressort qui ne sert à rien ... Très bizarre. Je suis convaincu qu'il manque un 2ème ressort pour permettre les 2 mouvements.

La pièce en cuivre qui ne touche rien, avec un seul ressort "croqué" et un clou inutilisé

Je consulte le manuel d'une Mills 777 et je vois bien le doigt en cuivre, mais positionné dans l'autre sens ! Quelqu'un a donc démonté cette pièce et l'a remontée à l'envers ! De plus, sur la photo, il n'y a qu'un seul ressort mais il est monté vers le "clou" non utilisé sur ma machine ! Ah ha !

Extrait du manuel d'un autre modèle avec la position normale du doigt de lancement et le ressort

Je cherche 2 ressorts de la bonne longueur et remonte le tout correctement ... et bingo, ça accroche ! Le mécanisme est tendu, mais c'est très très dur, à tel point que j'ai peur de tout casser.

La pièce de lancement en cuivre placée correctement avec ses 2 nouveaux ressorts

La mécanique est pas mal engluée, voire collée, il va falloir dégraisser tout cela à l'essence de lavage. Le genre d'horloge qui est en fait un timer pour lancer et freiner les 3 roues en séquence ainsi que le reste du processus, ne tourne plus. Je dois tout démonter et nettoyer, cela prend un temps certain et demande de la rigueur pour être sûr de pouvoir la remonter correctement mais après cette grosse opération, la mécanique brille et est impossible à arrêter !

Démontage et nettoyage du timer

En gros le principe est le suivant : après arrêt des 3 roues, 6 doigts verticaux sont lâchés et suivant les trous dans les 3 roues et leur alignement, en cas de combinaison gagnante, un doigt s'enfonce de 1, 2 ou 3 niveaux dans les plaques de roues. La nouvelle position du doigt gagnant déplace une lame, qui débloque une plaquette, qui contient un certain nombre de jetons, et ceux-ci tombent à la sortie ! Ouf !

Les doigts qui s'enfoncent en fonction des trous alignés à travers les 3 disques et qui déterminent le gain

Les lames horizontales qui transmettent les gains des doigts verticaux en débloquant les plaquettes adhoc. A noter les encoches dans les lames qui tiennent compte des niveaux d'enfoncement des doigts, pas bête comme mécanisme.

Les lames de déblocage des plaquettes de gain avec leur 6 positions de gain

6 plaquettes sont empilées et ensemble contiennent toujours 18 jetons, amenés par un tube. La plaquette du dessous a l'épaisseur de 3 jetons, celle au-dessus 2, puis 6, puis 2, puis 5. En fonction des gains : 1, 2, 3 jusqu'aux 6 plaquettes peuvent être débloquées, libérant ainsi 3 jetons, ou 5 (3+2), ou 11 (3+2+6), ou 13 (3+2+6+2) ou les 18 jetons (3+2+6+2+5). Ces plaquettes doivent bien coulisser mais ne pas être lubrifiées. La 6ème plaquette est spéciale, en cas de jackpot elle libère tout le bloc et active également l'un des 2 godets en face avant.

Les plaquettes de gains avant nettoyage

La machine est entièrement mécanique et tire son énergie de l'abaissement du bras. Le câble secteur ne sert qu'à alimenter un éclairage constitué de 3 petits tubes fluos (2x6W et 8W). Et il n'y a aucune mise à la terre, alors que la caisse et la manette sont métalliques ! Ils étaient cools et inconscients à l'époque ... Un seul tube s'allume encore, les 3 circuits étant les mêmes, il m'est facile d'établir que 2 tubes, 2 starters et 2 ballasts sont grillés. Ce type de ballasts faible puissance (8W) sont devenus impossible à trouver, j'en achète un de 36W. Comme les tubes fluos n'ont besoin que de 80VAC pour s'allumer, on peut mettre 2 tubes identiques en série sous 230V avec 1 seul ballast mais avec 2 starters 115V ! Je sors l'ensemble de la machine, remplace les 2 ballasts par le nouveau, et je recâble le tout ... et ça marche parfaitement ! Je dois juste rajouter de petits silent blocs sous le nouveau ballast pour éliminer les vibrations. Et bien sûr je mets la caisse à la terre et remplace le câble secteur !

Redémarrage des 3 tubes fluos avec seulement 2 ballasts

S'en suit un long travail de nettoyage tant intérieur qu'extérieur, le plus difficile est de retenir la séquence de démontage et l'ordre des vis. Le plus efficace est de remettre les vis dans leurs filets, comme cela tout reste groupé.

Les pièces démontées ... en vrac et les vis rangées ... en séquence !

J'ai récupéré les jetons du tube de réserve mais aussi tous ceux qui se sont perdus dans la machine, j'ai quasi 100 pièces à disposition mais aussi à nettoyer. Le plus rapide est de les nettoyer à la brosse en poils de fer montée sur une dremel. Pour le logo "Saturnia", il faut utiliser des limes ultra fines.

Nettoyage des jetons à la Dremel et de l'écusson Saturnia à la lime

Après remontage de la partie mécanique intérieure, je fais de nombreux tests et effectue quelques réglages pour obtenir les bons gains. J'y arrive presque, mais les combinaisons à 3 jetons m'en donnent 5 car 2 plaquettes déclenchent au lieu d'une. Après réflexion et réglages fins (il y a 2 vis), la machine finit par donner tous les bons gains, ouf !

Au niveau de la caisse, après polissage, mise en peinture, rajout d'une serrure à l'arrière, je remonte la machine et tout le monde y joue ! La machine s'avère fiable et provoque vite une addiction auprès des  joueurs !

Lancement hors caisse

Lancement dans la caisse

Calcul des probabilités de gain et du taux de redistribution

Beaucoup de monde me pose la question : oui, chaque machine est conçue pour être réellement aléatoire et c'est bien le cas car les roues partent toujours d'une position différente et sont lancées brutalement, un timer lâche des freins qui les arrête tout aussi brutalement les unes après les autres. Le résultat ne peut donc être que le fruit du hasard à chaque lancement. Mais cela n'empêche pas de calculer très précisément les probabilités de gains en fonction du tableau de gains affiché et de la répartition des images sur les roues.

Le taux de redistribution est le nombre de jetons rendus en moyenne (gagnés) divisé par le nombre de jetons joués. Par exemple, un joueur joue 100 jetons (100 fois), il va de temps à autre réaliser une combinaison gagnante et quelques jetons vont lui revenir. Il ne rejoue pas ces jetons gagnés. A la fin des 100 essais, il constate qu'il a regagné disons 60 jetons. Alors le taux de redistribution de la machine est de 60% (60 jetons récupérés sur 100 jetons joués). Conclusion : le casino gagne toujours 40 jetons ! Le seul vrai espoir de faire un bénéfice pour un joueur serait d'avoir la mise maximum de 18 au 1er lancé ! Hahaha, bonne chance, pour faire ça et souvent ! Et donc à long terme le joueur est toujours perdant ... ce qui n'est vraiment pas un scoop ! Heureusement des lois imposent aux casinos d'installer des machines avec un taux de 85% minimum, au moins on ne se fait pas plumer trop vite !

La 1ère machine à sous que j'ai réparée était une petite Mills Vest Pocket, une machine "pirate" d'atelier. Son taux de redistribution n'était que de 65% ! Pauvres ouvriers. Voyons le taux de celle-ci. D'abord il faut relever complètement le tableau des gains pour connaître toutes les combinaisons gagnantes : 1 cerise = 3 jetons, 2 cerises = 5, 3 oranges = 11, 3 prunes = 13, 3 cloches = 18, ...

Le tableau des gains : 3 cloches = 18 jetons, ... 1 cerise = 3 jetons, ...

Ensuite il faut relever les 20 éléments dessinés sur chaque roue et les compter (exemple : 10 oranges sur la 1ère roue, 1 sur la 2ème et 3 sur la 3ème, ...) :

Roue 1 Roue 2 Roue 3
T = Tic, Tac ou Toe T 1 1 1
B = Bell (Cloche) B 1 10 1
P = Prune P 6 1 5
O = Orange O 10 1 3
C = Cerise C 2 7 0
L = Lemon (Citron), pas de gain L 0 0 10
Tot 20 20 20

Comme il y a 20 positions par roue, avec 3 roues, on obtient 20x20x20 = 8.000 combinaisons ! Ensuite il faut établir un tableau avec toutes les combinaisons gagnantes et les gains associés. Puis calculer leurs probabilités d'apparition. Ensuite il suffit de multiplier chaque gain avec sa probabilité et de faire la somme. Ici le résultat est de 73% tout rond ! Encore une machine un peu vache qui n'aurait pas été autorisée dans un casino officiel ... On constate aussi que 16 fois sur 100, la machine affiche une combinaison gagnante et distribue entre 3 et 18 jetons.

Calcul du taux de redistribution

Et le jackpot c'est quoi ? Il m'a fallu un certain temps pour comprendre mais c'est une fonction supplémentaire de la machine :

J'ai testé ce mécanisme astucieux (désolé, j'ai oublié de prendre des photos), il fonctionne, malheureusement, il ne reste plus assez de jetons dans la machine pour remplir le tube de réserve de 100 jetons et donc alimenter les godets du jackpot. J'ai cherché à acheter des jetons, mais ils sont introuvables. Les jetons sont quasi identiques en épaisseur et diamètre que des pièces de 20 cents. Original : diamètre = 23,00 mm, épaisseur = 2,05 mm. Pièce 20 cents : d = 22,30 mm, e= 2,15 mm. La différence d'épaisseur (1/10 mm) de la pièce de 20 cents est trop grande pour pouvoir les utiliser. Elles bloqueraient la machine, car l'épaisseur de chaque empilement doit être exactement égal à l'épaisseur des plaquettes coulissantes de gain. Dommage.

L'appareil est destiné à être installé sur le comptoir d'un magasin de vêtements. L'idée amusante est qu'en fonction de la quantité de vêtements achetés, le client reçoive un nombre de jetons et puisse jouer à la machine. Les jetons gagnés sont ensuite comptés et le total est transformé en bon d'achat ! Sympa, mais il faut bien réfléchir aux conditions, afin de garantir un gain au client, mais pas de grosses pertes au magasin ! J'ai préparé un petit fichier Excel qui permet de calculer tout ça. Il faut juste choisir les 2 taux de conversion : le nombre de jetons donnés pour 100 euros et le nombre d'euros reçus par jeton gagné. Voici le résultat pour une remise souhaitée de 15% :

Remise souhaitée 15,0 %
Taux redistribution 73 %
Montant achat 100 euros
Taux conversion 10 jetons/100euros
Jetons donnés 10 jetons
Gains escomptés 7 jetons
Taux conversion 2 euros/jeton
Bon d'achat 15 euros
Remise réelle 14,6 %

Et voilà, projet très intéressant techniquement et également très amusant.

La machine trône fièrement dans le magasin !