Schmitronic

Réparations d'appareils électroniques vintage



Réparation d'un synthétiseur Formant d'Elektor de 1980

En 1977, j'avais 17 ans et j'étais déjà passionné d'électronique, et le magazine Elektor était ma bible. Excellente publication, avec plein de projets intéressants plus ou moins complexes,  articles pédagogiques, tableaux de références ... Le magazine a lancé un très gros projet : le design complet d'un vrai synthétiseur analogique genre Moog. Etant musicien (organiste dans un orchestre), ce projet m'a tout de suite intéressé. Chaque mois, à partir de mai 1977 jusqu'à avril 1978, un article décrivait un principe ou un module de l'engin. Je lisais ça avec avidité, c'était pour moi extraordinaire, car le design en plus était très sérieux (voir plus bas). Pour avoir une idée de l'ampleur du projet, Elektor eux-mêmes en parlent encore ici et les manuels consolidés de tous les articles, se trouvent, entre autres, ici.

La machine : l'endroit et l'envers du décor !

Mais bon, monter cela n'était pas simple : beaucoup de composants, dont des composants spéciaux aussi, beaucoup de circuits imprimés, de faces avant, un clavier, un meuble, ... Jusqu'au jour où je lis dans les publicités à la fin du magazine qu'un magasin d'électronique de Lille, vend l'ensemble en kit, complet avec le manuel, mais sans le meuble et les supports mécaniques des cartes ! Ce n'était pas donné (je ne me rappelle plus du montant), cela me prendrait de nombreuses heures de travail, sans garantie que j'y arrive et que cela fonctionne ... mais après mûre réflexion, je me lance, d'abord pour le challenge de monter tout cela, pour pouvoir comprendre à fond et appliquer les principes de fonctionnement, pour en jouer vraiment et explorer l'acoustique, mais aussi pour l'économie financière. En effet, jamais je n'aurais pu me payer un vrai synthétiseur analogique à 3 VCOs ! Je casse ma tirelire et me fait sponsoriser par mes parents, envoie le bon de commande par la poste et après confirmation, je les emmène à Lille ! Quelle aventure, car nous habitions à Arlon dans le sud de la Belgique et n'étions pas habitués à de longs voyages, à l'étranger, et dans une grande ville ! Nous étions de vrais aventuriers, sans GPS, ni Internet !

Je me rappelle encore, un samedi, le petit magasin dans le piétonnier de la ville, plein de jeunes et un patron très sympa qui me remet une caisse en carton avec des sachets de résistances, condensateurs, circuits intégrés, ... Je règle la facture hors TVA, et arrivé à la douane pour rentrer en Belgique, je suis tenu d'aller payer la TVA belge. Au comptoir je présente la facture et le douanier m'annonce un taux de 21% de TVA ! Je lui montre qu'il est écrit "Composants électroniques pour instrument de musique" et que le taux est de 6%. Il ne veut rien entendre, je suis furieux, je vais chercher la caisse et la pose sur le comptoir et lui dit "Et bien si ces sachets de composants sont un instrument de musique, allez-y, montrez-moi comment on peut produire de la musique avec ça ! Là-dessus il a le culot de me lancer : "Mais vous allez soudez tout cela et en faire un instrument de musique alors c'est 21%" ! Je ne me démonte pas et lui renvoie : "Et  si j'abandonne la construction, ou si je ne suis pas assez doué, ou s'il manque des pièces, ou si le design est mauvais, et bien ces composants ne deviendront jamais un instrument de musique. De toutes façons vous n'avez pas le droit de taxer une éventualité future, vous ne pouvez que taxer le présent, je ne paierai jamais plus que 6%, comme le prévoit la loi". Là, le douanier est coincé, il devient tout rouge, il est furieux qu'un adolescent de 17 ans lui tienne tête, argumente comme un avocat, et lui démontre qu'il a tord, il s'énerve, fulmine ... et s'en va ! Après quelques minutes, un de ses collègues revient, me regarde d'un drôle d'air et me fait payer 6% de TVA ! Ce jour là, j'ai eu la certitude qu'il ne faut jamais se laisser faire lorsque l'on a raison. J'ai aussi compris que même le personnel mandaté de l'Etat peut essayer d'abuser de son pouvoir, et plusieurs fois dans ma vie j'ai eu à me battre de cette manière (voir l'affaire sur le jukebox Disco). Et j'y ai pris goût, j'aime faire craquer les systèmes officiels abusifs. Je le fais pour moi évidemment mais aussi pour les autres. Car cela oblige ces crétins à se méfier, car parfois ils tombent sur des citoyens qui "mordent" ! 

Bref, après de longs mois de travail acharné mais passionnants, la machine prend forme. Le magasin était sérieux, il ne manquait rien ! Le manuel est excellent aussi, didactique et précis. Rien que la procédure de réglage est fascinante, le design est excellent. Par exemple, l'oscillateur de fréquence, coeur du VCO, commandé en tension, doit être précis et stable, il nécessite une source de courant basée sur un ampli différentiel qui doit être très stable. D'habitude, on peut simplement prendre 2 transistors identiques, mais pour augmenter la symétrie,  on peut les choisir avec des caractéristiques les plus proches possibles grâce à des mesures, puis on peut les coller ensemble pour qu'ils soient à quasi la même température, puis on peut les acheter fabriqués dans le même boitier, mais le top du top c'est d'installer en plus dans ce boitier un circuit de chauffage régulé ! C'est ce que fait le circuit µA726. Ce circuit est aujourd'hui introuvable ou très cher, en fait pour prouver la qualité, il faut savoir que le µA726 est utilisé dans les systèmes de guidage pour missiles de l'armée américaine ! Rien que ça !

Donc en 1978, le synthétiseur est fonctionnel et le son est génial ! Je remercie encore mes parents d'avoir supporté tout cela. Le design de départ propose un filtre VCF de 12db/oct, mais un filtre de 24db/oct était proposé également. J'avais prévu 2 espaces libres comme conseillé. Et de fait un peu plus tard, j'ai eu l'occasion d'acheter le filtre 24dB et le RFM (Resonance Frequency Module), ce qui rend la machine complète. Le filtre 24dB façonne tout le naturel et la chaleur de l'instrument. Après de nombreuses heures d'expérimentations et démos, la vie fait qu'il a été rangé sur une étagère ... pendant 40 ans !

Le VCF, la flèche rouge indique le boitier des 2 transistors appairés et chauffés, à droite les sorties très propres des 2 VCOs

Aujourd'hui à la retraite, j'essaie d'occuper mes petits-fils et je range un peu. Je suis donc retombé sur mon bon vieux Formant ! Je l'ai réinstallé et testé. Grosse surprise : il fonctionne toujours !!!! Quelques petits crachotements aux potentiomètres, touches claviers et contacts, mais plus on s'en sert mieux ça remarche ! Seul 1 des 3 VCOs ne démarre plus. Je finis pas me rendre compte que, suite à la dérive de certains composants, la tension de descente de la rampe de l'oscillateur ne descend plus assez bas et que le seuil du trigger de Schmidt n'est jamais atteint. En relisant et suivant la procédure de calibration, un trimpot permet justement d'ajuster cela, et un quart de tour du trimpot plus tard, l'oscillateur repart ! Incroyable qu'après autant de temps, l'engin refonctionne sans souci. La sortie est en mono, et pour la première fois je rajoute une pédale d'effets pour guitare. Cette pédale offre le passage de mono à stéréo et permet d'ajouter de la reverb, echo, phasing, flanging et autres effets sophistiqués. Whouah, ça donne très bien? Je suis aussi étonné du peu de bruit de fond généré par le synthé. Vive l'analogique !

Trêve de blabla, voici une petite démo. Prochaines étapes : jouer de la musique et programmer un Arduino pour piloter les VCOs !

Démonstration sonore après redémarrage ... après 40 ans !