Schmitronic

Réparations d'appareils électroniques vintage



8ème Disco

Décidément les modèles Discos, ça pullule ! C'est vrai qu'ils ont un design de meuble très moderne, malheureusement l'électronique n'est pas à la hauteur. Je commence par la maintenance habituelle : remplacer la fiche secteur, vérifier la terre, enlever les piles pourries, huiler le mécanisme, décrasser les contacts (quasi tous mal en point), remplacer les 2 ressorts du bras de lecture, ...

Le clavier ne réagit pas, ça y est c'est parti pour le démontage de cette foutue boite MCU à 3 cartes empilées et si mal placée dans la machine. En effet, capot levé, la boite est suspendue, il faut se pencher en avant sans appui et se casser la nuque pour voir ce qu'on fait. Puis il faut dévisser les 4 courtes vis, sans les perdre et sans laisser tomber la boîte (afficheur en verre!). Comme il est impossible de tester complètement le boitier à l'établi, et comme les câbles de la machine sont trop courts pour la poser, on est obligé de la remonter complètement pour chaque essai ! C'est vraiment pénible et je suis souvent bon pour une visite chez l'ostéopathe après toutes ces manœuvres néfastes pour le dos et pour la nuque.

Avec le schéma et après quelques mesures, je détecte que l'IC U6 74C14 (6x trigger de Schmitt) de la carte clavier est HS. Je le remplace par le même IC récupéré d'un autre Disco. Et comme d'habitude je soude un support tulipe pour pouvoir remplacer l'IC plus facilement au cas où. Sauf que le montage est tellement confiné et juste que la tôle du boitier bombe un peu et cela suffit pour qu'une fois remonté, le clavier ne fonctionne pas sur toutes les touches. Pas de souci, je découpe la tôle, pour laisser "sortir" l'IC sur son support qui le rehausse. Caramba, cette fois c'est l'IC lui-même qui sort trop loin et touche la paroi de la machine et ne permet pas le bon positionnement du clavier ! Je ne vais quand même pas découper un trou dans la machine, car on verrait alors cet IC de l'extérieur ! Je suis donc contraint de dessouder le support et de ressouder directement l'IC sur la carte, dont les pistes sont déjà bien fragiles. Mais quelle design misérable ! J'aime bien Seeburg mais ils ont bien foiré sur leur dernier modèle.

Ma découpe dans la tôle ... qui n'a pas résolu le problème !

Bref, cette fois ça marche ... sauf pour un détail : l'affichage du "3" se fait mal et une fois sur deux on voit, à la place du 3, un genre de "t" (sans la barre du dessous, donc les segments e-f-g) !

Sélection 133 donne 1t3 !

Je dissocie la carte qui supporte le clavier et l'afficheur, l'alimente et connecte des LEDs sur le bus 4 bits de sortie. Attention, les bits du bus ne sont pas tout à fait dans l'ordre des pins du connecteur : on a 1-2-4-3. Je teste les touches et toutes, même le 3, me donnent bien le mot binaire attendu. Par défaut, toutes les lignes sont à I (12V) et le circuit met à la masse les lignes qui doivent être à 0. On voit ci-dessous, qu'en appuyant sur le 3, les 2 premières LED sont mises à la masse et s'allument, ce qui donne bien 00II binaire = 3 décimal.

L'Appui sur le 3 donne bien OOII sur le bus de données

Mon premier réflexe est de me dire que c'est comme d'habitude : les RAMs 5101 si sensibles ont claqué. Je les remplace mais ce n'est pas ça. Il est difficile de faire fonctionner ces cartes à l'établi car il faut du 20VDC pour les ICs, du 40VDC et du double 3,5VAC à point milieu à la masse pour l'afficheur, pas facile. Et comme je ne répare pas des Discos tous les jours, je n'ai pas envie de fabriquer des rallonges de câbles pour me raccorder aux connecteurs de la machine. Obligé de travailler "en aveugle", j'ai du mal à poser un diagnostic, et toutes les mesures statiques sont bonnes. Je contacte l'expert Thierry04 qui a la gentillesse de me remettre en mémoire et de m'expliquer plusieurs choses : travailler sur ces cartes est vraiment une galère, les signaux d'entrées provenant du phonographe sont parfois actifs en 0 et parfois en I (logique mixte !), le bus d'entrée est multiplexé avec 5 portes en entrée et 1 en sortie, les tensions d'entrées en 12V sont converties en 5V au milieu de la carte, la carte monnayeur peut être enlevée, il faut activer le contact de limite 100 pour démarrer le processeur et donc le multiplexage ! Mais l'information la plus importante est qu'il a déjà rencontré ce genre de pannes, et elle est probablement causée par un IC défectueux qui "charge" le bus d'entrée et provoque des tensions intermédiaires et/ou fluctuantes entre 0 et 5V, ce qui empêche le microprocesseur de correctement interpréter la valeur binaire. Un grand merci Thierry ! J'ai du boulot, mais au moins j'ai des pistes, voire la solution.

Sur l'extrait de plan ci-dessous, on voit que les données du clavier arrivent sur la carte MPU principale par J4 en bas à droite, mais ne sont lues par le microprocesseur (en haut au milieu, hors plan) qu'en passant par 2 portes multiplexées U17-entrée et U32-sortie (rouges), et entre elles U26, un buffer-adaptateur 12v->5V (bleu).

Multiplexage des entrées

Je remplace ces 3 ICs, mais non ce n'est pas ça. Il ne me reste qu'à remplacer tous les autres ICs qui accèdent au bus d'entrée (en vert) au hasard ... pas ma méthode habituelle ça. En parallèle je trouve quand même une alimentation de 20V, les blocs d'alimentation-chargeur d'ordinateurs portables donnent 19,5V sous plusieurs ampères. En laissant bien les régulateurs de 12V et 5V montés sur la boite de la MPU branchés, et en activant le contact de fin de course 100, ça marche. Je peux enfin voir les signaux à l'oscilloscope ...

La carte MPU connectée sur table, avec les contacts de simulation à gauche

Surprises, surprises, mais pas celles que je croyais ! Le multiplexage fonctionne très bien à 730Hz et tous les signaux sont nets, même pour le 3 ... Je vois bien les signaux arriver au µP lorsque la fenêtre de porte clavier s'ouvre ("keyboard strobe" en violet ci-dessous) .Par contre si je pousse sur le 5, la fréquence de multiplexage passe à 3,34kHz ! Et elle retombe à 730Hz dès qu'on appuie sur une autre touche ! Jamais vu ça, il n'y a aucune raison de changer de vitesse de multiplexage, mais manifestement cela ne perturbe en rien le fonctionnement de la machine ! Bizarre, il y a des bugs dans le logiciel. L'autre effet inattendu se produit quand on passe de "Play mode" en "Service mode" : le multiplexage semble s'arrêter et des tensions "entre-deux" apparaissent sur le bus d'entrées ! Là aussi, c'est étonnant, mais dans ce mode, le processeur ne lit plus que les 4 contacts "audit clear", "audit advance", "pop advance" et "pop clear" ... qui sont en parallèle des touches 3, 4, 5 et 6 du clavier ! Donc le strobe clavier doit toujours être actif ... Comme ce n'est pas lié à la panne que je cherche à résoudre, je ne cherche pas plus loin.

En violet, à gauche, le "strobe clavier" normal à 730Hz et à droite, après appui sur la touche "5", il passe à 3,34KHz !
En mode service, le bus d'entrée ne semble plus sous contrôle, le strobe clavier est bizarre

Je suis vraiment perplexe et je décide de continuer néanmoins à remplacer les autres ICs qui travaillent sur le bus d'entrée (ICs en vert) ce qui fera un total de 8 composants ... et c'est toujours pareil ! Sauf que maintenant il ne fait plus jamais un "3" correct, mais toujours le "t" ! Au moins le défaut est franc maintenant ... Et en faisant des tests systématiques de sélections dans la machine, à ma grande surprise, je découvre que si j'encode par exemple 113, il affiche 11t et va prendre le disque 121 ! 253 affiche 25t et prend 261, mais 173 affiche 17t et "error" (181 n'existe pas). Par contre, toutes les sélections avec un 3 dans la dizaine (131, ... x3x) affichent une erreur. Très intéressant. Que fait la machine ? Le chiffre des centaines indique la face du disque (1xx=A, 2xx=B), et les 2 autres chiffres sont additionnés par le µP pour générer le nombre d'impulsions à compter avant de prendre un disque. Donc 5 dizaines + 3 unités donnent 53, et pourtant il va à 61, soit 8 unités trop loin ... systématiquement ! Donc le µP ne voit pas arriver un 3 mais un 11 (8+3) ! Et cette valeur 11 non prévue est impossible à afficher correctement sur un digit à 7 segments, d'où le "t" hasardeux. Mais le µP ne refuse pas ce faux chiffre clavier impossible et il fait le calcul comme d'habitude : 50 + 11 = 61 ! Par contre logiquement il n'accepte pas 70+11=81. Il n'accepte pas non plus le 11 en 2ème chiffre clavier : 136 affiche 1t6, soit 11 dizaines faisant déjà 110 + 6 unités = 116 impulsions !

Comment un 3 peut-il devenir un 11 ? Très simplement : avec un bit 4 qui reste par défaut à I, 00II binaire donne 3 décimal et I0II donne 11 décimal. Mais ça reste incohérent, car s'il y a un défaut permanent sur la ligne 4, alors toutes les touches clavier en dessous de 8 devraient être fausses : 000I=1 devrait donner I00I=9, 2->10, 4->12, ... mais ce n'est pas le cas. Ce qui est encore plus troublant est que même avec le 3, à l'oscilloscope les 4 bits d'entrée au µP s'affichent correctement. Je reste dubitatif plusieurs jours.

En retestant l'ensemble dans la machine, je constate un nouveau symptôme : la touche 3 est prise en compte avec un petit retard après avoir appuyé dessus ! Je pense tout d'abord à un souci mécanique, mais non, avec la carte clavier sur table, seule la touche 3 livre le code binaire avec un retard de quelques dixièmes de seconde ! Voilà autre chose maintenant ! Sur le schéma, on voit que les interrupteurs font une simple mise à la masse, signal mis en forme par des triggers de Schmitt dont les sorties sont câblées vers 4 portes NOR à 8 entrées qui transforment les 12 signaux en un mot binaire sur 4 bits, envoyés vers la carte processeur. Simple et efficace.

Circuit clavier et chemin du signal de la touche 3

A l'oscilloscope, la sortie directe de l'interrupteur 3 est nette, mais la sortie de l'IC U6 est graduelle ! Alors que c'est un trigger de Schmitt, donc justement une fonction logique de bascule implémentée pour former un signal digital franc et net à partir d'un signal analogique avec bruits, rebonds ou montées/descentes lentes. Et le voilà qui fait l'inverse : à partir d'un signal net il fabrique une parabole bien analogique !

3 clics sur la touche "3", à gauche le signal que je vois et à droite ce qu'il devrait être !

U6 est complètement défectueux mais pas depuis toujours, puisqu'au début il n'y avait pas de retard. De plus ce nouveau symptôme n'explique pas le problème du 3 qui devient un 11. Puisqu'à la sortie des 4 portes NOR, les signaux ont l'air bons, bien carrés. Je vois néanmoins une petite sur-impulsion uniquement avec le 3 ...

Bref, comme il n'y a que la bascule du 3 qui déraille (pin5->pin6) je décide de remplacer U6 ... qui est déjà l'IC que j'avais remplacé car complètement HS tout au début ! Et ce composant était un exemplaire d'occasion récupéré d'un autre Disco. C'était le seul exemplaire de 74C14 que j'avais en stock. Je me replonge dans la documentation et je cherche un équivalent. Et ce n'est pas très clair : sur le dessin du circuit imprimé, Seeburg indique 74C14 mais sur le schéma de principe et dans la liste des composants il est indiqué 4584, et sur l'IC soudé sur la carte il est gravé MM74C14N / CD40106BCN ! Et dans mon stock au niveau triggers de Schmitt j'ai des SN7414N, M74HCT14B1, HCF40106BE et MC14584BCP. Cela en fait des références pour la même fonction et le même pinout, mais ce n'est pas tout à fait pareil. Les 7414 et 74HCT14 sont de technologie TTL alimentés au maximum en 5V, alors que les 74C14, 4548 et 40106 sont de technologie CMOS alimentables jusqu'à 15V. Je dessoude à nouveau U6 et remonte un MC14584BCP, ah si j'avais pu laisser le support tulipe, ... Ok, le clavier n'a plus de retard. Je remonte le tout, fixe et teste le boitier dans la machine ... et le 3 apparait !!! Caramba ! C'est quoi ce binz ?

Cela m'agace, car je n'ai pas compris pourquoi et comment ce circuit, qui s'est dégradé au fil du temps, a pu provoquer une mauvaise interprétation bien plus tard dans la chaine ! Et invisible à l'oscilloscope ! Et cela malgré le suivi d'une démarche de dépannage systématique et logique. Il faut aussi se méfier des composants récupérés. Pénible, je ne suis pas près de l'oublier cette machine. Et Thierry04 a raison en disant que ces cartes ne sont pas réparables par les amateurs, c'est un vrai piège à rats ! Et on comprend pourquoi un expert comme feu Ron Rich se soit donné la peine de refaire complètement le design et de refabriquer des cartes de remplacement modernes et fiables, il en avait sans doute assez de s'énerver sur le design original foireux. Conclusion : "Patience et longueur de temps font plus que force et que rage" (Morale de la fable "Le lion et le rat " de Jean de La Fontaine).


Restauration du 2ème, 3ème, 4ème, 5ème, 6&7ème, 8ème Disco